Un empire bon marché, essai de Denis Cogneau

Cet ouvrage construit comme un cours de géopolitique économique et historique dresse le bilan de l'expansion coloniale de la France de 1830 à nos jours. Réédité en format de poche – mais plus de 700 pages tout de même - il est structuré en 10 chapitres, chacun précédé d’une annonce de plan et clôturé par une conclusion partielle.

Bien entendu, il vaut mieux avoir quelques notions d’économie politique pour le lire comme un roman, mais le style, d’une grande fluidité, rend le propos tout à fait accessible au profane qui s’intéresse à une question qui a dominé le monde et porte toujours en germe de violentes conséquences.

Malheureusement, les tableaux statistiques sur de très longues séries sont difficilement lisibles, mais l’explication de l’évolution présentée est limpide. On peut donc les passer.

L’auteur s’attache à tordre le cou à un certain nombre de controverses sur le coût et le bénéfice de la colonisation pour la France. Sa thèse : de 1833 à 1962, l’empire n’a coûté en moyenne qu’un peu plus de 1 % du produit intérieur brut (PIB) métropolitain chaque année, un montant constitué en moyenne de 80 % de dépenses militaires (surtout concentrées sur les guerres des dernières années avant les indépendances) contre 20 % de subventions civiles nettes seulement. D’où son titre provocateur …

Et il explique aussi comment et pourquoi la colonisation – celle de la France comme celle de la Grande-Bretagne – ne fut pas une bonne affaire, ni pour les colonisateurs ni pour les colonisés – à l’exception de certains privilégiés.

Je renonce toutefois à résumer les 6 pages de notes que j’ai prises en lisant ce livre passionnant.

Quelques constatations : le principe d’autosuffisance de l’Etat colonial fit que le niveau élevé des salaires des fonctionnaires limita fortement le volume du service public et des investissements possibles. La mission civilisatrice tant vantée par les tenants de la colonisation – un très influent lobby sous la IIIème République - n’a bénéficié que de façon faible aux autochtones, en particulier dans l’enseignement, le capital de la métropole a peu « ruisselé » vers la colonie, l’appui du colonisateur sur une élite locale va accroître les inégalités : la structure de la dépense publique constitue une entrave à l’investissement, les coûts de fonctionnement bénéficiant surtout aux colons et entreprises françaises face à un secteur autochtone faiblement productif, une structure dualiste qui survivra à la décolonisation et au départ des colons français.

L’ouvrage établit des comparaisons particulièrement intéressantes sur les modes de développement économique et politique des états issus de la décolonisation, selon moi une vision relativement lucide des perspectives de conflits internes et inter-régionaux à venir.

Denis Cogneau est professeur à l'Ecole d'Economie de Paris (PSE), directeur de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), et directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS

Une partie importante de l’ouvrage repose sur le travail effectué avec les économistes Sandrine Mesplé-Somps (directrice de recherche à l’IRD – Université Paris-Dauphine) et Yannick Dupraz (assistant professor à l’University College Dublin), qui ont tous trois constitué une base de données à partir des budgets consolidés des colonies. L’étude comprend l’essentiel des territoires colonisés par la France sur cette période – Algérie, protectorats du Maghreb, Afrique occidentale et Afrique équatoriale mandats compris, Madagascar, et Indochine.

Des gens sérieux donc, et leur démonstration est pertinente.

A lire sur le même sujet : Histoire globale de la France coloniale. Sur babelio, ne pas manquer la longue interview en video de Denis Cogneau qui résume efficacement son ouvrage.

Un empire bon marché – Histoire et économie politique de la colonisation française, XIXème – XXIème siècle, par Denis Cogneau, Editions du Seuil (2023), 704 p. 14,90 €