Le ventre de Paris, roman d'Emile Zola (1873)
L’intrigue de ce troisième volet de la saga des Rougon-Macquart se déroule entre septembre 1858 et août 1859, dans le cadre extraordinaire de modernité des nouvelles Halles de Baltard. Un investissement colossal, comme une ville dans la ville, propre à assurer l’approvisionnement d’une ville d’un million d’habitants.
Le lien des protagonistes de cette histoire est relativement ténu avec la famille Macquart : c’est avec la belle charcutière Lisa Quenu (soeur de Gervaise), plantureuse commerçante qui mène très sérieusement son affaire, et surtout son mari, très soucieuse de la bonne renommée de sa boutique. Malgré elle, elle va jouer un rôle central dans un drame de la microsociété des Halles.
Car le héros est Florent – on ne lui connaît pas de patronyme – un pauvre hère échappé du bagne de Cayenne, où il a été déporté pour avoir été, lors des émeutes suivant le coup d’Etat du 2 décembre 1851, capturé et jugé à tort car il s’était trouvé là au mauvais endroit au mauvais moment. Après plusieurs années d’errance et muni de faux papiers, il revient à Paris et y retrouve son demi-frère, l’époux de la belle charcutière.
Il est hébergé par sa famille, on lui trouve un emploi d’inspecteur aux Halles puisqu’il a commencé des études supérieures, il donne des leçons à des enfants, mais il ne s’intègre pas à ce monde particulier, suscite la folle jalousie des fortes femmes qui dominent les boutiques, ressasse ses rancœurs politiques et professe imprudemment des idées révolutionnaires totalement illusoires.
Le roman transporte le lecteur au sein d’une fantastique frénésie de nourriture : chaque étal est décrit dans une débauche de couleurs, de saveurs, de parfums et de bruits, nous conduit dans les sombres couloirs des resserres où piaillent les animaux vivants, nous fait assister à la saignée des animaux, au vol des plumes des volailles dépouillées. Autant de natures pas toujours aussi mortes …
Et dans ce décor dantesque se noue une tragédie : triomphe de la méchanceté, la jalousie, le plaisir de médire et de dénoncer, d’inventer des bobards, de monter les uns contre les autres. Ce sont essentiellement les femmes, des plus jeunes aux plus âgées qui mènent la dance. La misogynie de l’auteur est patente, et les hommes se montrent plutôt évanescents.
On y croise Gavard, marchand de volailles et terrible bavard, Lebigre, patron de café amoureux et calculateur, Charvet l’hébertiste de comptoir, Louise Mehudin, la rivale poissonnière de Louisa qui ne rêve que lui chiper Florent alors que celui-ci n’a jamais imaginé fricoter avec sa belle-sœur, et surtout la très toxique espionne Mademoiselle Saget qui répand la rumeur assassine tout en se nourrissant de rebuts et de chapardages. On y croise aussi Claude Lantier qui sera le personnage central de L'Oeuvre.
Ce petit monde est décrit avec la cruauté et le réalisme les plus minutieux. Face à tant de noirceur, le pauvre Florent, aussi naïf que généreux, ne se rend compte de rien, perdu dans des idées révolutionnaires qu’il n’imaginait même pas avant son injuste châtiment …
C’est la victoire des "Gras " sur les « Maigres » selon la théorie que de tous temps, les gras doivent manger les maigres. Et que le régime impérial, malgré son caratère dictatorial et l'omniprésence de sa police politique, assure le calme et la prospérité du commerce.
Le ventre de Paris, d'Emile Zola (1873), 384 p.