Constantinople 1453, par Sylvain Gouguenheim
Tournant civilisationnel dans le conflit multiséculaire opposant le monde islamique au monde chrétien, la prise de la capitale de l’empire Bysantin – ou de ce qui en restait – en ce 24 mai 1453 fait l’objet d’une description particulièrement documentée.
Un récit en trois actes : la mort lente d’un empire, les 55 jours du siège, la mémoire de l’événement à travers les siècles.
Tout commence par la mort lente de l’ancien empire romain d’Orient, son inexorable asphyxie amorcée dès la fin du XIème siècle après la défaite de Mantzikert (1071). Ensuite il y eut le sac de la ville par les Croisés en 1204, la mise sous tutelle par les marchands de Venise et de Gènes.
L’empire est un état fragmenté, un agrégat de territoires dispersés entouré de puissances hostiles et en croissance. Dans le même temps, les élites grecques donnent à leur appétit de pouvoir la priorité sur la défense des frontières : querelles religieuses avec la lancinante question de l’Union des Eglises toujours repoussée par la partie orthodoxe, donc la non-soumission au Pape qui empêche tout secours des puissances catholiques, une succession de guerres civiles qui tarissent les rentrées fiscales, des effectifs guerriers insuffisants, des fortifications dépassées, une flotte de guerre désarmée, le recours à des bandes mercenaires.
De l’autre côté, malgré la réticence religieuse face aux innovations techniques qui, selon le Coran, sont assimilées à des erreurs menant à l’enfer, les Turcs se sont dotés d’une artillerie à foudre performante, cette innovation étant jugée compatible avec le djihad. Ils sont gouvernés par un jeune sultan d’une intelligence et d’une volonté étonnantes, qui se rêve en nouvel Alexandre et considère la prise de Constantinople comme une étape avant la prise de Rome et la conquête du monde.
Pendant 55 jours, les défenseurs furent stupéfiants de résistance, mais soudainement tout céda. Le génois Guistiniani fut blessé et emmené par ses hommes, l’empereur Constantin XI Dragasès se jeta dans la mêlée pour y mourir les armes à la main … le pillage et le massacre furent atroces. L’épopée turque se mue en tragédie grecque.
La troisième partie narre les suites de cette victoire, avec cependant, après l’échec devant Vienne (1529), puis Lépante (1571), très progressivement l’essoufflement de l’empire ottoman, l’émergence en occident de la « Grande idée » de l’indépendance de la Grèce, les guerres balkaniques, la Grande guerre, la « Grande catastrophe » de la prise de Smyrne par les Turcs en 1922 et l’échange des populations (un million de grecs et 350 000 Turcs), la prise de pouvoir de Mustafa Kemal … Tout un pan de notre histoire.
Publié en partenariat avec le Ministère des Armées dans la collection « Champs de bataille », le livre est d’un abord aisé, prenant appui sur les travaux les plus récents : historiens, archéologues, croisant les sources des témoins de l’époque. Un récit passionnant et pour moi une nouvelle visite virtuelle de la cité d’Istamboul, comme j'eus le plaisir de la parcourir il y a des lustres ...
Constantinople 1453, par Sylvain Gouguenheim, collection Champs de bataille, édité par Perrin/Ministère des armées, 360 p., 25€