Ordre de survivre, roman d'espionnage de Julian Semenov
Je me suis demandée, en découvrant ce thriller, pourquoi une telle réédition en 2022 de ce roman aussi confus que foisonnant, datant cependant de 1982.
Citons la présentation que l’éditeur fait de son auteur - très bien renseigné – sans doute par le KGB :« Julian Semenov (1931-1993) est un écrivain russe, immensément populaire en Russie, méconnu en France. Un musée lui est consacré en Crimée et la plupart de ses livres ont été adaptés à l’écran. La chute de l’Union Soviétique en 1991 occulte son œuvre dans les pays occidentaux qui ne s’intéressent qu’aux écrivains dissidents. Aussi remarquable que John Le Carré dont il constitue l’alter ego de l’autre côté du rideau de fer, il met en scène dans la série le héros Stierlitz.»
Franchement, la comparaison avec John Le Carré se révèle largement excessive ...
Max von Stierlitz ( Vsevolod Vladimirovitch Vladimirov, alias Maxime Issaiev, alias Justas) est devenu l'espion-référence dans la culture soviétique et post-soviétique, semblable à James Bond dans la culture occidentale. Selon l'historien américain Erik Jens : « le héros le plus populaire et le plus vénérable de la fiction d'espionnage russe.
Ce quatrième opus publié en français se déroule dans les derniers jours de la débâcle allemande, alors que les troupes soviétiques sont aux portes de Berlin et que tous les responsables nazis et hauts gradés de l’armée cherchent à trouver une solution de sortie pour faire cesser les hostilités et sauver leur peau.
Stierlitz est un agent secret multicartes : il est soviétique mais s’est infiltré jusqu’aux plus hautes sphères du gouvernement agonisant du Reich dont les responsables cherchent toutes les opportunités de signer une paix séparée, soit avec les Alliés occidentaux, soit avec Staline, avant de remplacer le Führer claquemuré dans son bunker. Et il sait parfaitement qu’il est percé à jour par Heinrich Müller, patron de la Gestapo, et qu’il se fait manipuler. Tout son art est de tenter de survivre …
Objectivement, l’ouvrage est super long, émaillé de mille diversions, pavé de « name dropping », stigmatisant les dirigeants américains corrompus, s’étale sur les relations conflictuelles des hauts dirigeants allemands dans ces derniers jours précédant la capitulation. Le but de la mission de Stierlitz est d'empêcher toute paix séparée entre les Anglo-saxons et les nazis, visant à se retourner contre les soviétiques.
J’ai lu un grand nombre d’ouvrages historiques sur la période mais je n’y retrouve pas tous mes « petits ». J’ai même l’impression que ce genre de littérature est largement « inspiré » par les instances officielles soviétiques … L'idée de rendre populaire un super-espion soviétique en Russie et de redorer le blason du KGB était bien vue par Youri Andropov. Et en effet, la série fut adaptée avec grand succès en feuilleton télévisé.
A nous, lecteurs informés, de ne pas nous laisser prendre à ce festival d’enfoncements de portes ouvertes et de désinformation. Et j’ai ma petite idée de réponse à la question que je me posais sur la réédition de cet ouvrage en ce moment … Mais la fin de ce dernier opus se lit aussi avec un autre regard : comment se débarrasser d'un commandant suprême devenu fou ayant entrâiné son peuple à l'anéantissement.
Ordre de survivre, roman historique d’espionnage de Julian Semenov, traduit par Monique Slodzian, Edition du canoë, 10/18. 570 p., 9,60€