Dernier jour de tumulte à l'Assemblée
Privilège de vieille dame : avoir encore la mémoire des réformes nécessaires mais abandonnées, souvenir désolé de politiques réformateurs honnêtes et rapidement blackboulés.
Depuis deux semaines, une partie de la représentation nationale se donne en spectacle et fait la preuve de son refus de suivre la règle parlementaire et d'accepter les résultats - même serrés - d’un scrutin législatif qui s'est déroulé librement.
Après avoir pendant des lustres réclamé intensément la représentation du corps électoral à la proportionnelle, alors que pour la première fois depuis l’avènement de la Vème République, l’Assemblée nationale oblige les groupes politiques à se coaliser pour ou contre le pouvoir exécutif, un groupe minoritaire abuse du droit de présenter des amendements pour faire obstruction à l’examen d’un texte certes controversé, pour en interdire la discussion jusqu’à son terme.
Et je ne parle même pas des violentes injures échangées dans l’hémicycle : de quoi écœurer n’importe quel électeur, de quelque sensibilité qu’il soit. Mais les gradins de l'Assemblée en ont vu d'autres dans les siècles passés ... Et à qui profite ce tohu-bohu ?
L'«Instruction civique» a disparu depuis belle lurette des programmes scolaires, emportée par l’autocensure des professeurs, pas pressés d’aborder des sujets qui fâchent. Le résultat est que les rares citoyens qui savent un peu comment fonctionnent les organes de notre démocratie ont perdu toute influence auprès de leurs compatriotes abreuvés de fake news. Même les cafés du commerce où l'on pouvait jadis débattre ont disparu du paysage urbain au profit des séries télé !
Ici et maintenant, je gage que des millions de gens de bonne foi ne comprennent absolument rien à ce qui se passe dans les instances parlementaires (quid de la mise en oeuvre ou pas des articles 49.3 ou 47.1 de la Constitution, à quoi sert une Commission Mixte Paritaire où le sort du projet de loi sur les Retraites va se jouer ...) et à quel jeu s’adonnent certains représentants qu’ils ont – ou pas – élus. De quoi renforcer encore plus l’abstention et saper leur légitimité et, à travers eux, celle de la République.
Et lorsque la procédure aura été menée à sa fin selon les termes constitutionnels, ils n’en n’auront pas compris beaucoup plus. Quel que soit le résultat final, ce sera à tous les coups une terrible frustration pour les uns comme pour les autres, et une nouvelle couche de ressentiment à l’égard de « ceux d’en haut ».
Tout ce cirque me touche au-delà de tout. Passionnée depuis mes 18 ans par l’économie et la politique, particulièrement attachée aux principes démocratiques, je souffre de ce fossé d’incompréhension qui devient abîme en ces temps de manipulation de l’information à l’échelle industrielle.
Nous vivons des temps de basculement géopolitique et socioculturel fondamentaux. Le rapport au travail se modifie à la vitesse « grand V », les modes de consommation se transforment, le patriarcat séculaire s'effrite, la richesse et le travail sont si mal répartis qu’aucune politique sociale ou fiscale n’est en mesure d’atténuer – même à moyen terme - les différences sociales stratifiées depuis plus de 50 ans, la guerre, enfin, à nos frontières européennes.
En vrac : inégalité salariale hommes/femmes (que l’on retrouve arithmétiquement au niveau des retraites), discrimination multiples (vieux, jeunes, immigrés, faibles utilisateurs des outils modernes de communication, personnes à la peau sombre), concentration des tâches sur un temps limité, cadences trop lourdes pour produire des prestations à faible valeur ajoutée, désertification des provinces …
Et puis, soudainement hier, on retire 4000 amendements ... Qu'est-ce que ça signifie ? Ils servaient à quoi, au jute ? C'est n'importe quoi !
Je lis que certains, parmi les jeunes en particulier, en viennent à souhaiter l’arrivée au pouvoir un homme (ou une femme) à poigne, un gouvernement fort … un Bonaparte, un De Gaulle ou quelqu'autre militaire, une Thatcher ? Je suis persuadée qu’il y a dans l’ombre, des hommes et des femmes qui pensent en être capables. Mais pour l'heure, on ne voit pas encore poindre le bout de leur nez.
Toujours le mythe de l'homme ou la femme providentiels. Un rêve ? Non, un cauchemar !