Le général De Gaulle et la Russie, par Hélène Carrère d'Encausse
Quelques semaines après sa sortie fin 2017, Claude commentait l’ouvrage d’Hélène Carrère d’Encausse consacré à la relation complexe entretenue par De Gaulle vis-à-vis de la Russie. Et des tentatives de médiation plusieurs décennies après et jusqu'ici infructueuses...
A la lumière du conflit qui se déroule en Ukraine, j’ai voulu en savoir davantage sur la relation complexe de la France avec le bloc de l’Est et les efforts du général, dès avant la fin de la seconde guerre mondiale pour redonner à la France son rang de grande puissance, malgré la défaite de 1940.
Dans une perspective de temps long, l’intérêt du livre est de confronter la vision et l’expérience de De Gaulle quant à la permanence des Etats et des Nations, et de rappeler les fondements de la relation séculaire - et changeante voire complexe - entre la France et la Russie.
Le premier voyage du général en URSS se déroule du 24 novembre au 11 décembre 1944.
La négociation est engagée sur la fixation des frontières occidentales de l’Allemagne, la représentativité du gouvernement polonais de Lublin affidé à Moscou, et marquée par les interférences de Churchill qui souhaite imposer un pacte tripartite.
Le général a bien perçu la nature terrible des rapports de Staline avec ceux qui l’entourent et qu’il terrorisait. Mais il reste ferme. Un pacte sera signé aux dernières heures de la visite, et sera bien accueilli. La France, grâce à cette négociation, retrouve une place indiscutée dans le monde. Mais ça, c’était avant. Avant Yalta où la France n’est pas conviée car Roosevelt continue à fermer à la France la porte des « grands ».
Après le retour du général en 1958, le monde communiste a changé, mais selon lui, aucune idéologie ne dissimule la permanence de la Russie éternelle dont il admire l’histoire, la culture, le patriotisme exceptionnel, sans oublier qu’elle est aussi un pays communiste, dominateur et impérialiste.
Le rapprochement avec l’Allemagne d’Adenauer irrite Khrouchtchev. Il veut briser cette entente en remettant en cause le statut de Berlin, 10 ans après l’épisode du blocus et du pont aérien.
Le rapprochement avec l’URSS intervient lorsque de Gaulle retire la France du commandement intégré de l’OTAN (en 1966), tout en conservant l’alliance comme ultime précaution. De Gaulle entreprend alors une politique de relations bilatérales avec les pays de l’Est tout en dotant la France de la puissance nucléaire. Il veut montrer aux Etats-Unis comme à l’URSS que la France agit de son propre chef et non comme « second » des Etats-Unis.
Il est convaincu que toutes les négociations avec l’URSS sont vaines car elle ne connaît que le coup de force – comme l’érection du mur de Berlin en 1961. Rien n’a changé depuis … Le général pressent les tiraillements au sein du bloc de l’est : en Roumanie, Pologne, Tchécoslovaquie … et surtout en Chine.
Le second voyage du général en 1967 sera triomphal, mais il ne reconnaitra jamais la RDA en tant qu’Etat. En revanche, il est très impliqué dans la diffusion du procédé français de télévision en couleurs SECAM auquel la RFA s’oppose … La politique gaullienne de détente va inspirer Kiesinger et aussi Willy Brandt dans son « Ostpolitik », ouvrant une voie favorable au dépassement des idéologies, un modèle de « soft power » pour déstabiliser Yalta.
L’analyse à long terme du Général était fondée sur la certitude que les mentalités et les sentiments profonds des hommes et des peuples sont les principaux leviers de l’histoire, et non la pure compétition de puissance et de moyens matériels.
Une analyse toujours d’actualité pour ce qui concerne le conflit russo-ukrainien …
Le Général De Gaulle et la Russie, essai par Hélène Carrère d'Encausse (2017), de l'Académie française, édité chez Fayard, 279 pages, 20 €.