Elagage de printemps
Le terme employé généralement pour les livres surnuméraires dans une bibliothèque est celui de "désherbage". J'ignore si on dit la même chose pour les photos de famille ...
Les journées pluvieuses sont propices à des travaux renvoyés régulièrement aux calendes.
Ma vocation à 14 ans - rapidement contrariée - était de devenir photographe, après mon premier séjour linguistique auprès de la famille de ma correspondante Karen Ehlebrecht qui elle, est devenue une photographe célèbre en Allemagne. C'est ainsi que dès le début des années soixante, mon père m'avait ramené du Japon un appareil réflex, une rareté à l'époque.
Et c'est ainsi que j'ai mitraillé ma famille, devenant, je le sens, un peu "collante" parfois.
C'était le temps de l'argentique, de la photo couleur sur papier. Il fallait se munir de pellicules à conserver à l'abri de la chaleur, penser à ne pas les gaspiller, on assurait la progression du film avec un levier latéral, on prenait garde de ne pas ouvrir malencontreusement le volet arrière pour ne pas bousiller la pellicule en cours, on mesurait la lumière avec une cellule photo-électrique ... et les tirages coûtaient cher.
Quel progrès colossal avec le numérique !
Aujourd'hui, je continue à mitrailler, mais avec mon IPhone, toujours avec moi, toujours prêt ... et on stocke sur le "cloud". Qu'importe les mauvais cadrages, les images "bougées", le contre-jour ... Tout le monde est photographe et même vidéaste, l'autoportrait s'affiche devant tout le monde, on retouche ses images en une caresse sur le pavé numérique. Finalement, seuls les artistes talentueux (rares) s'en sont sortis, les petits artisans ont disparu. Mon père - qui photographiait beaucoup avant guerre avec un Leica - avait une certaine préscience en me disant "Passe ton bac d'abord".
Cependant, j'ai accumulé au cours des ans un stock de photos démentiel. J'ai entrepris d'en faire l'élagage. Je n'en suis pas encore au tri - par personne photographiée, par thèmes, par années - mais j'ai simplement supprimé drastiquement toutes les images en double ou peu intéressantes. Une masse de boîtes pleines à ras bord, dont je vais me débarrasser progressivement.
Car une vision globale de tout ce matériel s'avère d'une consternante uniformité : des fêtes de famille où chacun tient une coupe de chmapagne en main, déchire les emballages de Noël, des tablées, des bébés à tous les moments de leur vie - certains se ressemblent tellement qu'on a peine à les distinguer - des réceptions de mariages, d'anniversaires de mariage, des travaux en cours, notre maison du Sud. Et les souvenirs de voyage ne valent pas les images d'Internet.
Finalement, j'ai conservé deux tiroirs pleins d'une petite commode, et réservé pour mes filles une boîte de clichés au cas où cela les intéresse. Et dans le fond de mon placard, j'ai même retrouvé deux morceaux du Mur de Berlin ! 53 années de vie commune, ça laisse des traces.