Les enfants sont rois, roman de Delphine de Vigan
Je pourrais reprendre mot pour mot la première phrase de ma critique d’un précédent livre de Delphine de Vigan (Les loyautés). Encore une histoire terrifiante d’enfants massacrés par des parents inconscients et à l’égoïsme absolu. Même s’ils ne font l’objet d’aucune violence physique … et c’est encore plus grâve.
Autrefois on fustigeait les parents d’enfants hyperdoués vivant par procuration une renommée rêvée pour eux-mêmes – je pense à Mozart – aujourd’hui, on parle d’adultes qui mettent en scène la vie quotidienne de leurs jeunes enfants pour en tirer reconnaissance et fortune.
J’avoue aussi que l’idée m’est venue, à cette lecture, d’arrêter complètement toute activité sur les réseaux sociaux.
C’est un roman construit sur une intrigue policière, relativement ténue mais riche de personnages à la psychologie « barrée ». Il y a le « Milou blanc » : cette jeune policière efficace, née au sein d’un couple d’enseignants très militants, qui ne parvient pas à s’épanouir dans une relation de couple suivie. Il y a naturellement le « Milou noir », cette petite provinciale gavée de téléréalité dès son enfance – à La Roche sur Yon, en plus ! – et dont la seule ambition est de devenir au petit pied une sorte de Kim Kardashian à la française. Et pour réaliser son fantasme, elle va filmer ad nauseam ses deux bébés auxquels elle a donné pour prénoms Kimmy et Sammy.
Placements de produits, vie quotidienne en direct live, déversement d’émoticônes et de likes, statistiques de vues par millions et revenus de partenariats commerciaux en rapport … Mais que deviennent ces petits êtres sous emprise : des rois ou des esclaves ? Que nous prépare notre monde technologique en constante évolution, jusqu’à la perte totale de l’intimité, l’anéantissement des douceurs de l’enfance. Une régression qui évoque l’emploi des enfants au début de la Révolution industrielle, quand on avait besoin de leur petite taille et de leurs fins doigts pour se glisser sous les métiers à tisser et renouer les fils brisés ?
La description de ces mondes virtuels est glaçante. N’importe qui peut imaginer que sa vie est digne d’intérêt et en récolter la preuve. C’est le quart d’heure de célébrité permanent. Je l’éprouve moi-même chaque matin en découvrant les statistiques de mon blog … Mea culpa !
Je me souviens m’être interrogée devant mes petits-enfants s’esclaffant en regardant des vidéos sur leur tablette, et absorbant des flots de publicité scientifiquement formatée et me disant intérieurement – et lâchement - que pendant ce temps-là, ils ne s’ennuyaient pas chez leur mamie ! Quel contre sens !
Il faut lire ce roman particulièrement bien écrit et le faire lire aux ados en âge de comprendre : le risque de dépersonnalisation est sans doute encore plus réel que celui des addictions classiques. Il est nécessaire de les éclairer pour leur permettre de prendre du recul.
Les enfants sont rois, roman de Delphine de Vigan, collection blanche chez Gallimard, 348 p., 20€