La vérité sur la comtesse Berdaiev
Une fiction historique – enfin pas tout à fait une fiction – écrite avec humour et nostalgie dans un style étincelant.
Un monde décadent, clinquant, de richesse affichée, celui des restaurants tsiganes où viennent se retrouver les émigrés russes, des galeries d’art où il convient de se montrer et, si on est malin, commander son portrait au pastel par l’artiste du moment, la sublime comtesse Berdaiev qui se trouve être aussi la maîtresse officielle du président de l’Assemblée nationale : Marchandeau. Lui, en cette année 1958, se voit déjà à la présidence de la République.
Belle, elle suscite immédiatement le désir des hommes qui la croisent. Marchandeau l’a installée dans un appartement de la Ville de Paris destiné à l’origine à une association d’aide aux veuves de la Résistance … Tiens, tiens, cela me rappelle une autre affaire du même genre, mais le ministre en question se l’était approprié pour lui-même rue Guynemer, avant de briguer lui aussi la magistrature suprême.
Car ce court roman est une œuvre à clés. Marchandeau, c’est André Le Troquer, résistant, amputé d’un bras pendant la Grande Guerre … Seules les personnes de ma génération se souviennent de ce scandale de pédopornographie, qu’un journaliste avait appelé « Ballets roses ».
Mais il est vrai qu’à l’époque, les scandales politiques fleurissaient : l’affaire Lacaze, le putsch des généraux d’Alger, l’irrésistible retour au pouvoir du Général …
Une étude de mœurs fondée sur des personnages réels : la belle comtesse s’appelait en réalité Elisabeth Pinajeff. Elle avait un passé de starlette de cinéma reconvertie en pastelliste mondaine. Dans le roman, elle est censée être née en 1916, elle aurait donc 52 ans mais serait toujours aussi séduisante.
Dans la vraie vie, Elisabeth Pinajeff en avait 6 de plus. Marchandeau, lui, est un « ambitieux humilié » selon son biographe Benoît Dutertre. Jean-Marie Rouart le plaint : « Quelle idée présomptueuse avait le président Marchandeau, brave don Quichotte départemental, héros des congrès de la SFIO, très respecté au Grand Orient, de se mettre en travers de la route d’un monument qui avait l’histoire avec lui ? »
Et en plus, il lui a attribué un nom qui fleure bon le génial film « La traversée de Paris », hurlé par Jean Gabin …
Tout commence en effet de façon banale : un vol de soutiens-gorges au Bon Marché par une adolescente délurée. Pour se dédouaner, la donzelle tend au policier la carte de Marchandeau. Pas de chance, son affaire tombe entre les mains d’un procureur zélé à l’appétit de considération immense. Et puis cette affaire permet de se débarrasser d’un obstacle gênant …
Un court roman, mais des personnages secondaires intéressants. J’ai pu en reconnaître certains qui hantent le monde politico médiatique actuel. Mais chut … Je peux me tromper !
La vérité sur la comtesse Berdaiev, roman par Jean-Marie Rouart de l’Académie française, aux éditions Folio, 229 p., 7,50€