La serpe, roman de Philippe Jaenada
L’auteur aurait pu se contenter d’écrire la biographie de cet homme complexe que fut Henri Girard, connu sous le nom de plume de Georges Arnaud, en particulier pour son best-seller des années cinquante : Le salaire de la peur, dont Henri-Georges Clouzot tira un film culte (enfin, dans ma jeunesse !), avec Charles Vanel et Yves Montand …
Cette narration occupe le premier tiers du livre et après …. on entre dans le vif d’un tout autre sujet, si j’ose dire. Car cet homme a vécu dans sa jeunesse une nuit d’horreur : le 24 octobre 1941, son père et sa tante, plus la bonne ont été sauvagement (on dit toujours comme ça, n’est-ce pas ?) assassinés à coup de serpe dans une aile du château familial, alors qu’il dormait à l’autre bout de l’édifice. Il n'a rien entendu ...
Et c’est lui, le fils de famille à la vie jusqu’ici désordonnée – il a 24 ans et termine ses études, cherche désespérément à rejoindre la Résistance –, le parisien, le fils des propriétaires qui est inculpé du triple meurtre. Emprisonné pendant 19 mois dans des conditions épouvantables, il proclame son innocence mais son juge d’instruction est persuadé avoir trouvé le coupable idéal … Cependant, Henri a la grande chance d’avoir pour avocat Maître Maurice Garçon, un vieil ami de son père, qui va lui arracher, en 11 minutes de délibération du jury, l’acquittement ...
Après cette épreuve, Henri Girard se débarrassera rapidement de son héritage, partira en Amérique du sud où il vivra d’expédients, se mettra à écrire ; toujours du côté des humbles et des opprimés, il ira se fixer en Algérie pour prendre part au combat pour l’indépendance, continuera à témoigner tout en claquant tout l’argent qu’il gagne mais ne reparlera jamais de l’affaire. L’énigme reste entière, personne ne sait qui est responsable du carnage du château d’Escoire, et d’ailleurs, personne n’a réellement – et surtout pas la justice – cherché à savoir.
Sauf Philippe Jaenada qui va se plonger dans les archives du procès, creuser « façon tamanoir » dans tout les procès-verbaux, les comptes-rendus d’audience, mettre en lumière les contradictions des témoins, analyser les indices restés inexploités …
Dans un style plein d’autodérision, avec des tas de diversions, des références littéraires - en particulier des livres précédents de l’auteur (ce qui donne envie de les lire, naturellement) et cinématographiques, mais surtout un fantastique travail de documentation sur place, le récit ne faiblit pas une minute au long de ces plus de 600 pages. On finit par avoir une petite idée du meurtrier et de ses motivations, mais de toutes façons, tout ce petit monde est mort … et Georges Arnaud, l’écrivain bourlingueur, totalement oublié.
La serpe – roman de Philippe Jaenada, prix Fémina 2017, édité en format de poche chez Juillard, 642 p. 8,90€