La Restauration, par Emmanuel de Waresquiel et Benoît Yvert
Même s’il s’agit d’un ouvrage écrit par deux jeunes universitaires (publié en 1996), il se lit presque comme un roman.
Voici donc la chronique de quinze années d’une période de l’histoire de France le plus souvent escamotée, celle qui « enterre » la Révolution et met en route les mécanismes de la démocratie parlementaire à la française, marquée par des similitudes troublantes avec les mœurs politiques contemporaines.
1814 : Napoléon, battu par la coalition alliée, est relégué à l’ïle d’Elbe (il fera un aller-retour de Cent jours catastrophique pour ceux de ses partisans qui le suivront dans cette épopée) et Louis XVIII, frère du roi décapité, est réinstallé sur le trône avec le consensus de tous ceux qui veulent la fin de 25 années de troubles et surtout des puissances victorieuses qui occupent une grande partie du territoire – Prusse, Autriche, Russie et Angleterre - réunies justement à Vienne pour décider du sort de la France, alors même que les Bourbons sont quasiment oubliés en France en mars 1814.
Car au Congrès de Vienne, les négociations sont fondées sur le principe de légitimité des familles régnantes avant la tourmente napoléonienne.
Très habilement, Louis-Stanislas (59 ans), qui est beaucoup plus intelligent que son frère Charles, octroie un texte constitutionnel dont les maîtres-mots sont « union et oubli ». La Charte de 1814 est un texte libéral dans l’esprit des idées du temps. Il s’agit de « greffer, autant que faire se peut, le nouvel ordre des choses sur l’ancien ».
Les principes de cette charte sont restés très vivaces dans nos institutions contemporaines : le legs intellectuel de la restauration est immense dans l’histoire des idées politiques. Nature du pouvoir exécutif, souveraineté, représentation, rôle et place de la nation, libertés fondamentales, nécessité de la centralisation, division du pouvoir législatif en deux entités distinctes, primat de l’exécutif, pratique de la solidarité ministérielle, liberté de la Presse, participation de la France au concert européen … Y compris les termes de l’article 14 de cette constitution qui permet au souverain de gouverner par ordonnances, ce qui perdra Charles X lorsqu’il voudra, en 1830, anéantir la liberté de la Presse.
Les préoccupations des gouvernements successifs de la période sont multiples. Il y a d’abord l’urgence financière : il faut payer les indemnités de guerre et obtenir le plus rapidement possible la libération du territoire, au moment même où sévit une grave crise économique. On y pourvoira par une vaste politique d’emprunts à l’étranger (déjà !).
Ensuite, il faut définir le corps électoral. Face à face sont les « doctrinaires » et les « ultras » qui opposent avec mépris les grands propriétaires fonciers aux bourgeois qui payent patente sans obligatoirement être propriétaires. Ce sera la lutte que mènera la bourgeoisie pour obtenir une meilleure représentation à la chambre des députés.
Autre préoccupation : le recrutement de l’armée, avec un avancement à l’ancienneté réservé aux 2/3 des grades plutôt que par nomination royale au bénéfice de la noblesse.
Enfin, la liberté de la Presse qui provoquera la chute de Charles X, qui agit dès 1814 en opposant à son frère, et plus en chef de parti qu’en héritier présomptif puis qui se « lâchera » après son accession au trône. La Restauration vit ainsi quinze années de tentatives douloureuses pour concilier le principe héréditaire et monarchique avec celui de nation via la représentation censitaire.
Il est étonnant de voir comment les hommes de ce temps – en l’absence des idées socialistes et même républicaines – ne parviennent pas à gérer une « chambre introuvable », qui se délite en une multiplication de tendances antagonistes, avec des « affaires » qui explosent, une presse gourmande de scandales, des divisions, des luttes et des désaccords intra-partisans, des pétitions … Bref, tout ce qui fait le sel de la politique aujourd’hui !
Histoire de la Restauration (1814 – 1830), Naissance de la France moderne, par Emmanuel de Waresquiel et Benoît Yvert, paru en 1996 chez Perrin, 499 p. et en format de poche, collection Tempus.