Histoire de Jacqueline et Pierre - Partie une
Tout comme j'ai relaté le récit croisé de l'histoire de mes parents, Claude a rédigé, à partir de ses souvenirs, l'histoire de ce couple auquel nous souhaitons rendre hommage. Nous, et nos trois
filles, les avons aimés comme des Parents et des grands Parents, à tel point qu’un
jour ils nous ont adoptés au sens de la Loi.
Contrairement à « Affaire
terminée j’arrive », l’histoire des parents de Marie-Pierre, ce récit
n’a malheureusement pas été écrit par eux : il est reconstitué, à partir
de leurs souvenirs, émouvants, haletants ou cocasses, et qu’ils racontaient
volontiers. Egalement d’une longue interview de Pierre Briot, donnée un
après-midi de mai, sur la terrasse du Calfour, à l’ombre et dans les chants
d’oiseaux, avec le bienveillant concours d’une bière fraiche. Troisième
source : l’exploitation des archives familiales, dont nous sommes les
gardiens.
C’est une histoire parallèle jusqu’en 1953, de deux Français nés dans des univers différents, manifestement destinés à des vies toutes simples, sinon médiocres, mais forcés par la guerre à déployer énergie et talents. Des gens qui se portent au devant du danger, décident vite, et font le choix de la difficulté.
Ce chef lieu, construit par ordre de l’Empereur Napoléon
Ier pour gouverner la Vendée catholique et subversive, était un gros bourg sans
charme, surtout peuplé, à l’époque, de fonctionnaires de Préfecture, et de
commerçants qui desservaient l’économie agricole prospère du Bocage.
Le père de Jacqueline, Alexandre Renaud, employé aux
Chemins de fer de l’Etat, avait été mobilisé pendant 4 ans en 1914-18,
était rentré avec la croix
de guerre, sans grave blessure, et avec la volonté de fonder au plus vite une
famille pour oublier le cauchemar.
Tante Rosalie a pour meilleure amie Madeleine Joussemet, Présidente du comité vendéen de la CROIX-ROUGE, épouse de médecin ; toutes
deux savent trouver une occupation utile aux jeunes gens, et c’est ainsi
qu’elles mobilisent la petite Jacqueline, âgée de 8 ou 9 ans, pour les quêtes
annuelles de la CROIX-ROUGE. C’est un premier pas vers l’engagement de sa vie. C’est à Coucy le Château dans l’Oise que naît, le 11 juin
1921, Pierre Briot ; pour cette famille-là, la vie est beaucoup plus
rude : les parents sont tous deux ouvriers chez Ercuis, grande et
prestigieuse fabrique d’argenterie, mais le salaire est maigre, et le petit
Pierre, comme son frère, est voué à rester un ouvrier.
Mais il y a pire : le 21 juin 1940, la Wehrmacht est
entrée à La Roche-sur-Yon. La tante Rosalie, qui possède une grande maison, est requise de loger un
officier allemand. Guy, le frère de Jacqueline, élève de Terminale, qui a passé
8 jours prostré de douleur, se glisse un soir chez Tante, et remet à sa sœur un
pistolet allemand : « cache moi ça ». Il l’a volé dans la
journée à un occupant – crime puni de mort par le code militaire. Il commence
ainsi une carrière de résistant et d’officier qui le conduira aux grades de
Colonel de parachutiste et de Commandeur de la Légion d'Honneur. Soulager les
souffrances
Là aussi, il y aura pire, et même pire que tout : le soir du 16 septembre 1943, Madame Joussemet appelle Jacqueline :
« NANTES a été bombardée, il faut du monde, tu pars avec une équipe». Sur
les lieux, au Port, au centre ville, il y a 1500 morts et 2500 blessés ;
des lambeaux de chair pendent aux arbres ; les jeunes Vendéens, qui
étaient encore relativement protégés malgré la guerre, connaissent alors, et
avec quelle dureté, leur baptême du feu.
Rejoindre de Gaulle par les montagnes
Il n’a, bien entendu, aucun papier ; il arrive à Chalons-sur-Saone, un matin de 1941 ; très simplement, il va dans un bistrot, et fait part de
son intention de passer en zone libre. On lui dit qu’il a une chance s’il se
glisse dans la masse des ouvriers d’une grande usine, tous titulaires
d’ausweis, qui franchissent le pont-frontière tous les matins, à l’heure de
l’embauche. Ce qu’il fait, et ça passe. Pierre inaugure ainsi une incroyable
série de coups heureux, qui sont sa « marque de fabrique ».
Le voilà de l’autre coté, qui reprend le train pour Chambery. Il y arrive, court au Quartier. Il est en pleine forme, plein de
fougue et de volonté de servir ; il est engagé.
Le 11 novembre 1942, ce discours devient réalité : pour répondre au débarquement américain en Afrique du Nord, les Allemands
envahissent la zone libre. Les départements alpins sont occupés par les
Italiens de Mussolini ; les bataillons de chasseurs alpins sont désarmés et dissous – d’ailleurs dans le respect des lois de la guerre.
Pierre parle à son chef de section : quoi faire ? « Tu peux rester ici, et plus tard rejoindre un maquis, dit le Lieutenant,
ou tu peux aller t’engager en Afrique du Nord, où les Français ont repris le
combat ; il faut passer par les Pyrénées et l’Espagne, mais il faut
attendre le printemps prochain ». En avril 43, voilà notre petit chasseur
en route pour Toulouse, avec des papiers en règle fournis par l’Armée de
l’armistice.
Sorti de la gare Matabiau, il va sans hésiter consulter un agent de police, auquel il demande poliment comment on fait pour passer en
Espagne ! Le brave flic manque de s’étrangler, et lui dit « Tu as eu
de la chance d’être tombé sur un patriote, car j’ai bien des collègues qui
t’auraient fait jeter en prison ; je connais des gens qui vont
t’aider ; en attendant, je te boucle chez moi, car tu es vraiment trop
naïf ».
La suite, c’est un obscur voyage en camionnette, de nuit, jusqu’à Lannemezan, un court séjour dans une petite scierie, avec quelques
autres candidats à l’évasion, un passeur qui les fait monter jusqu’au col au
risque des patrouilles allemandes (sur les évadés de France, voir le site www.effelle.fr/francais-libre/evades-de-france) .
Arrivés en haut : « C’est par là les gars, la Guardia civil vous mettra en prison, mais vous en sortirez ». De fait, au premier village, la Guardia civil – très dense pour surveiller le pays à peine sorti de la guerre civile - les repère et les boucle. Mais le garde a besoin de son chef pour engager la procédure, et ils vont donc le chercher au bord d’un petit lac, où il pêche tranquillement.