Affaire terminée, j'arrive ! - Chapitre 18 (1)
Chapitre
18 – D’Alger à Paris (1)
Sur cette même ligne, le consul Général qui est Christian
Fouchet, avec qui j'ai mangé plusieurs fois à la mission de Moscou où il était
Capitaine, me demande un jour si j'accepte de céder ma place de retour à un
diplomate, courrier occasionnel, venu faire une visite de reconnaissance de son
nouveau poste et qui, tombé malade sur place, est pressé de rentrer à Alger.
Comme je commence à être rôdé dans mon service et sachant
la chose faisable, j'accepte d'autant plus volontiers que cela me permet de
rentrer avec le Commandant Leburgues, qui est devenu un habitué de la ligne.
Bien m'en a pris, car l'avion s'écrase en bout de piste à Tripoli de Libye.
Aucun survivant. Ouf!
Le 15 août 1944, je vole vers Gibraltar. Par la lucarne de
l'avion, j'aperçois volant dans la même direction et à la même altitude une
nuée d'avions, tous des dakotas, c'est magnifique. Ils volent si près les uns
des autres que j'ai l'impression de pouvoir passer de l'un à l'autre par le
bout de leurs ailes. Je me pose des questions sur cette Immense armada jusqu'à
ce que j'apprenne, une fois tous impeccablement alignés à Gibraltar, le
débarquement en Provence. Ils viennent tout simplement de larguer des centaines
de parachutistes au dessus de la zone des opérations.
Entre les voyages, Je m'occupe au bureau comme je peux. Je
tape à la machine des décrets de nominations, j'établis des passeports
diplomatiques, tout un tas de petites bricoles dont un service qui se monte a
besoin. A midi, comme Lulu travaille dans le même bâtiment, nous mangeons tous
les deux à la cantine de notre service. Nous nous plaçons par tables rondes de
huit personnes, presque toujours les mêmes. A plusieurs reprises, un jeune enseigne
de vaisseau vient s'assoir à notre table. Nous savons tous que c'est le fils
du Général De Gaulle, mais comme il est très discret, tout en étant causant,
personne n'y fait allusion. Il n'en est pas de même pour son père, qui pour se
rendre à la salle de conférences qui se trouve dans notre bâtiment, doit
parcourir un long couloir passant devant notre bureau et beaucoup d'autres. Ces
jours là, toutes les portes sont closes et règne un silence monacal, alors qu'à
l'ordinaire, toutes portes grandes ouvertes, chacun vaque d'un bureau à l'autre
avec l’entrain d’une ruche.
Nous sommes assez bien logés à Saint Eugène, avec un grand
balcon d'où nous bénéficions d'une vue splendide sur la mer et la baie d'Alger.
Septembre arrive. Vers le milieu du mois, rentrant de Moscou après une absence
d'une vingtaine de jours, je ne trouve plus personne au bureau, ni à la maison.
Tout le monde a rejoint Paris.
Je ne m'attarde pas à Alger, le lendemain je rejoins moi
aussi, en faisant escale à Toulouse. Je retrouve vite mon service au Quai
d'Orsay et ma Lulu en même temps. Elle a fait le voyage sur un navire de
guerre, étant une des rares femmes, cinq en tout je crois, à avoir suivi le
gouvernement provisoire, mettant un temps fou, faisant escale en Angleterre
pour finalement débarquer à Cherbourg. Puis, par train et en trois jours, les
services sont arrivés à Paris.
Nous sommes logés dans le quartier du Panthéon, rue de
l'Estrapade, ce qui ne nous pose pas de problème pour aller au bureau car les
transports en commun sont plutôt rares. Au Quai d'Orsay, notre service occupe
les locaux officiels de la valise diplomatique et le travail s'organise sur de
nouvelles bases. Ensuite, le Chef de service m'expédie défricher les capitales
nordiques.
Pour ce faire, j'embarque à bord d'une forteresse volante qui me
dépose à Oslo d'un seul vol, puis le train me conduit à Stockholm, puis à
Copenhague. Je fais tellement diligence que le patron, à mon retour, m'en fait
presque le reproche, me disant qu'il n'y avait pas lieu de s'affoler ... Il est
vrai que pour sa part, il avait mis deux mois pour faire la tournée d'Afrique
du Sud.
Des dix courriers d'Alger, nous ne sommes plus que deux,
mon ami Jean Lebrun et moi. Ma petite Lulu est maintenant la secrétaire
particulière d'un Ministre, Monsieur Jean Chauvel. Dans notre service, de
nouveaux collègues nous ont rejoints, issus de la Résistance ou de l'ancienne
administration. Le temps passe jusqu'au jour où notre chef de service m'appelle
dans son bureau pour me demander quelle est ma situation militaire. Je lui
réponds que je suis en activité, avec le grade de Sous-lieutenant, ayant été
promu le 25 avril 1944. Il lève les bras au ciel et me dit :
- Mais, nom d'un chien, il y a un
mois que vous êtes titulaire de votre emploi !!! Comment pouvais-je le savoir ?
Personne ne m'en a parlé, et le gars Lebrun est dans le même cas.