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Journal de bord d'une grand-mère grande lectrice et avide de continuer à apprendre, de ses trois filles et de ses 7 petits-enfants.
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24 février 2008

Affaire terminée, j'arrive ! - Chapitre 17

Chapitre 17 – Valise diplomatique

Je me rends bien à l'adresse indiquée, où le service n'en est qu'à ses débuts, il y a tout à apprendre.
Nous sommes dix pour assurer le service, plus le chef, plus un contrôleur détaché des PTT.

Le travail consiste à trier par destination le courrier destiné à l'étranger, en faire le bordereau, mettre le tout dans une valise ordinaire en cuir, dument fermée et scellée avec de gros cachets de cire rouge au nom du Comité de Libération de la France, mettre les clés dans sa poche, et partir pour la destination convenue. Oui, mais voilà ! Il n'y a pas d'agence de voyages et il faut se débrouiller. D'abord, il faut un visa pour chaque frontière à traverser, donc courir tous les consulats ou ambassades intéressés. il faut aussi beaucoup de piqûres : typhus, fièvre jaune, et bien d'autres, de l'argent aussi, dollars ou livres sterling.
Avec notre passeport diplomatique, les lettres dites de "Courriers" priant les autorités étrangères de nous assister, un ordre de mission de VIP en sept exemplaires, nous n'avons plus qu'à partir pour le terrain d'aviation et faire de l'avion-stop.
A nous de nous défendre.

GibraltarMa première course est pour Gibraltar. Il m'est assez facile de trouver une place, car c'est l'escale obligatoire pour ceux qui vont à Londres, et ils sont nombreux. Je trouve donc un Beechcraft, presque personnel, puisque je suis le seul passager avec le pilote et le radio.

J'arrive à Gibraltar, trouve facilement la mission militaire, y suis accueilli par deux français libres très sympathiques. L'un vient de Rio de Janeiro, l'autre de Lima. Bref séjour, puis tentative de stop pour le retour. Pour cela nous nous rendons le matin au terrain d'aviation, et après plusieurs tentatives, c'est le Général Vannier, Ambassadeur du Canada auprès de Général De Gaulle, qui me prend à bord de sa forteresse volante personnelle. Il fait tout le voyage au poste de pilotage, et je reste tout seul dans cette grande carlingue aménagée en salon. J'y occupe un grand fauteuil de cuir, devant une large baie, qui d'ordinaire est l'emplacement d'une mitrailleuse lourde. J'ai, de cet emplacement, une vue splendide sur le panorama. Pour ma première mission, c'est vraiment du gâteau. J'oublie de dire que pour les missions, nous voyageons en civil, ce qui facilite beaucoup pour les priorités de passage, car pour les militaires, il y a toujours quelqu'un de plus galonné. J'en ferai un jour l'expérience à Berlin, où comme nous étions entre français, je n'avais pas cru bon de faire jouer ma qualité de VIP.

Au bout de quelques temps, voyant que dans les services du Commissariat aux Affaires Etrangères, il y a pénurie de dactylos et plus encore de sténos, je dis au chef du personnel, qui est toujours entre nos pattes à discuter avec notre patron, que ma Lulu est de première qualité dans la profession. En quelques jours, avec l'échange de notre appartement contre un situé à Saint Eugène, voici ma Lulu et notre Claudie qui arrivent à Alger. Lulu est tout de suite promue comme chef des sténodactylos de tout le Commissariat et la vie de famille reprend.

Je voyage, pas très loin, de temps en temps, puis un jour notre chef de service m'annonce qu'il me faut me préparer à faire un voyage inaugural à Moscou. Il me faut un nombre impressionnant de visas, de piqûres et d'argent, et pour le voyage, toujours le même mot de passe : "démerdez-vous !"

H_liopolisJe m'envole en Dakota pour Tunis, où les Américains, avec de monstrueux engins, s'affairent pour agrandir les pistes d'envol, puis escale à Benghazi où je vois une formidable montagne de matériel de guerre hors d'usage. Nous survolons Bir Hakeim, puis El Alamein, et atterrissons au Caire, où je couche à l'hôtel Héliopolis. Dans le hall, je remarque un tapis de haute laine d'une dimension extraordinaire...Le lendemain, avec mon laissez-passer VIP, je trouve facilement une place sur un avion anglais avec escales à Tel-Aviv, Damas, Bagdad et Téhéran, où je descends car il file sur l'Inde.

A Téhéran, l'Ambassadeur me met en contact avec l'attaché militaire qui me prend en charge. La colonie française est charmante, tous des gaullistes à 100%. Je ferai au sein de celle-ci de solides amitiés, en particulier un dentiste qui fermera son cabinet pendant trois jours afin de me remettre la bouche, malmenée par la captivité, en bon état.
A partir de là, il me faut beaucoup de patience pour continuer mon voyage. Tous les matins très tôt, avec l'attaché-militaire adjoint, nous allons au terrain d'aviation. Là, nous attendons qu'un avion, genre Potez 25, piloté par une femme, s'envole pour aller voir si un certain passage dans la montagne est praticable, car notre avion plafonne à  300 mètres, et les montagnes ont presque le double de hauteur. Plus tard, et avec l'expérience, mais surtout avec un N°5 de Chanel, une bouteille de whisky ou une cartouche de cigarettes, le passage sera bien plus facile.

Sur ce parcours, je ne verrai jamais beaucoup de passagers, sauf les pilotes de l'escadrille Normandie-Niemen, basée à Toulal, parmi lesquels je me ferai de très bons copains, notamment mon parrain de légion d'Honneur, et l'intendant de l'escadrille, le Capitaine Hechenbaum, qui m'offrira un insigne pour les menus services que je lui ai rendus.

La première escale en Russie est Bakou. Moi qui n'ai jamais vu de champ pétrolifère, je suis servi : des derricks partout, serrés les uns contre les autres, et même en mer, une odeur de mazout envahissante, même les serveurs de l'hôtel en sont imprégnés. Le lendemain, départ pour Moscou, toujours seul passager. Nous faisons escale technique à Astrakhan sur le delta de la Volga, mer Caspienne, et repartons pour voler en rase-mottes, en suivant le fleuve, sans jamais dépasser la hauteur des arbres qui ne sont pas très haut, aussi mon estomac n'est pas à la fête.

ruines_stalingradA Stalingrad, où nous nous arrêtons pour nous restaurer, l'hôtesse d'accueil m'invite à faire, en jeep soviétique, le tour du champ de bataille.Cette fois, ce n'est plus une montagne, mais un Himalaya de matériel détruit qui s'offre à mes yeux. Il faut dire qu'il y a à peine trois mois que la ville a été libérée, et tout est encore resté sur place. Je ramasse par terre une douille de fusil. Elle a été plusieurs fois percée par d'autres balles et en est toute déchiquetée et tordue. Plus tard, j'en ferai cadeau à Jean Billon, qui la montrera à tous ses copains de la Résistance.

Nous repartons pour la dernière étape, Moscou, où l'avion atterrit presque en ville. Plus tard, l'aéroport sera déplacé à quarante kilomètres au nord-est, dix kilomètres plus loin que la ligne de feu atteinte par les Allemands lors de l'offensive de 1941. La réception à l'ambassade est formidable. Je suis le premier courrier régulier à arriver. Notre Ambassadeur, Roger Garraud, est avide d'avoir des nouvelles toutes fraiches des événements d'Alger. Comme je dois rester une semaine sur place, pour permettre aux services de répondre à tout le courrier que j'ai apporté, l'Ambassadeur m'invite plusieurs fois à dîner.

Il veut savoir le plus de choses sur moi, car il a un fils de mon âge, dans les F.F.L. depuis 1940. Je ferai un jour sa connaissance et nous deviendrons de très bons amis. Au cours de l'un de ces repas, je dis à l'ambassadeur que pendant ma captivité à Inselrims, j'ai rencontré le frère de Maurice Thorès. Aussitôt, il téléphone à ce dernier et le lendemain soir, nous dînons ensemble avec Jeannette Veermersch, Ilhia Ehrenbourg, Richard Bloch ainsi que plusieurs autres personnes. Malheureusement, Maurice Thorès vient justement d'apprendre que son frère est mort en captivité, depuis quelques temps déjà.

Saliyut_MoscouA Moscou, j'ai l'occasion à plusieurs reprises d'assister à des "salyuts". Ce sont de gigantesques feux d'artifice, tirés depuis les toits des immeubles sur toute la surface de la ville. C'est d'un effet peu commun et magnifique à la fois. Cela à la gloire de l'Armée Rouge, à l'occasion d'une grande victoire.

Le Général Petit, chef de la mission militaire, un des rares à tutoyer le Général De Gaulle parce qu'ils sont de la même promotion, m'invite plusieurs fois à déjeuner à la mission. Je vais faire là de très bons copains que je reverrai pratiquement à chaque voyage, d'autant plus que l'atmosphère parmi eux est bien plus sympathique qu'à l'Ambassade. Plus tard, je rencontre Jean Nau, journaliste à France-Presse, qui vit depuis 1930 à Moscou. Une amitié qui durera plus de vingt ans, interrompue par sa mort. Pour le retour, nous devons attendre plusieurs soirs avant qu'un certain bureau militaire russe nous téléphone le feu-vert pour le lendemain. Le coup de fil n'arrive jamais avant minuit et plus parfois, aussi, pour tuer le temps, l'ambassadeur, chaque soir avec sa secrétaire qui est aussi sa traductrice, nous invite à boire une bouteille de Champagne en attendant.

Le retour s'effectue par le même chemin et dans les mêmes conditions. Heureusement que la mission militaire de Téhéran m'a prêté une grande pelisse d'aviateur, fourrée de mouton et que je passe sur mon manteau, car l'avion, du type rustique, n'est pas chauffé, et il fait un froid sibérien. Je suis toujours seul passager. Une seule fois, l'équipage ayant fait la guerre d'Espagne et baragouinant comme moi cette langue, nous arrivons à discuter un peu.

Le Général Petit me confiera un jour une vingtaine de valises ayant appartenu à des pilotes de Normandie tués en opérations. Je les laisserai à Damas, leur base de départ.

(à suivre)

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