Affaire terminée, j'arrive ! - Chapitre 13 (2)
Dès
le lendemain, je pars avec Jean à la recherche d'un moyen pour passer la ligne
de démarcation. Dans les bistrots où Jean a ses contacts, nous sommes reçus
avec joie et curiosité, fêtés, et il en est très fier. Jo, lui, n'est pas très
chaud pour ces ballades en ville, qu'il trouve dangereuses, et préfère disputer
des belotes à la maison avec la cousine et une de ses copines, tout en prenant
le thé . Ayant obtenu par des copains un
mot de passe pour une filière, nous partons en train pour Tours, puis en car
pour Reignac.
Le
car s’arrête juste devant le bistrot qui m’a été indiqué. J’entre, suivi de Jo,
tenant à la main mon petit papier d’identification, que je dois donner à la
patronne qui est justement derrière son bar. Au moment de lui adresser la
parole, je la vois prise de panique et en même temps j'aperçois dans le miroir
derrière elle deux soldats allemands qui nous suivent. Aussitôt je laisse
tomber mon petit papier dans l'évier où elle lave les verres. Il disparaît en
vitesse dans l'évacuation ....Je n’ai pas le temps de commander un verre, que
le chef de patrouille nous demande ce que nous faisons là et d’où nous venons.
Je lui raconte une histoire de vélos, que nous devons récupérer, cela ne
l’intéresse pas du tout et il nous intime l’ordre de le suivre chez son chef,
ce qui est fait en quelques minutes.
Celui-ci,
une armoire à glaces d’au moins cent kilos, lieutenant de son état, nous
demande nos portefeuilles dans un français à faire braire un âne. Son
sous-fifre lui dit alors que ce n’est pas la peine de se fatiguer et que je
parle allemand car, chemin faisant, nous avons discuté. Cela lui fait plaisir,
et a l'air de le mettre dans de bonnes conditions à notre égard. J'ajoute que
ma connaissance de l'allemand me remplit d'admiration pour son pays et son
grand chef, qu'il était nécessaire de faire une Grande Europe, etc, etc ...
Pendant ce temps, il fouille mon portefeuille, y trouve la photo de ma Lulu
avec notre petite Claudie et s'exclame:
- Moi aussi, j'ai une petite fille,
Et
aussitôt, il sort aussi une photographie. Je m'aperçois qu'il y est en uniforme
de sous-officier. Je saute sur l'occasion pour lui filer un vache de coup de
"brosse à reluire", qui le fait doubler de volume.
Le
temps passe, et il va bientôt faire nuit. Il me demande, confidentiellement, ce
que nous faisons dans les parages.
- Et bien, je vais tout vous dire, nous travaillons en zone non-occupée et nos femmes sont à Paris depuis l'Armistice,
nous ne les avions pas vues depuis et nous avons pris le risque de venir passer
quinze jours avec elles, voilà, tout le drame est là ...
Il
me demande encore par où nous sommes passés à l'aller, je lui réponds : par
Vierzon. Alors il part d'un gros rire et me dit que cela ne l'étonne pas, que
c'est une vraie passoire, et nous en rions ensemble. Pendant ce temps là, Jo
qui n'a rien compris, se demande ce qui se passe. Au bout d'un moment, le
Lieutenant appelle celui qui nous a arrêtés et lui demande :
- Qu'est-ce qu'on fait de ces deux zèbres ? - On avisera demain, mais il va falloir les loger. J'ai une meilleure
idée, envoyez-moi la sentinelle.
Il
s'en va, la sentinelle arrive et au garde-à-vous écoute les ordres de son chef
:
- Tu vas prendre le chemin de la forêt et tu les accompagnes jusqu'à la barrière de X., exécution !
Je
le remercie chaleureusement et lui promets, si nous devons revenir, de ne pas
passer dans son secteur afin de lui éviter des ennuis, nous saluons
militairement, et, flanqués de notre cicérone, nous nous enfonçons dans la
nuit. Au bout de quelques kilomètres, notre guide, qui est Tchèque, ce que j'ai
appris en marchant, voudrait nous laisser aller tous seuls, pour ne pas avoir à
faire deux fois la route. Pas du tout, pas du tout, que je lui rétorque, un
ordre est un ordre et il faut l'exécuter jusqu'au bout, même si nous devons te
porter .... Personnellement, en effet, je redoute une mauvaise rencontre avec
une patrouille qui ne serait pas du même avis que son chef. Il fait la gueule,
mais alors de ça, on s'en fout ! Je lui propose même de lui porter son fusil,
ce qui le fait quand même rigoler.
Nous
marchons encore plus d'une heure et arrivons devant une grande barrière faite
de gros troncs d'arbres et haute de deux mètres. Nous l'enjambons facilement et
lui souhaitons bon retour, alors que nous, il ne nous reste que quelques
centaines de mètres pour trouver un bistrot, avec une envie de courir qui nous
démange.
Il
est tard. Pas besoin de faire un dessin au patron pour lui dire qui nous
sommes. En nous voyant entrer, il nous dit qu'il a compris tout de suite, que
nous ne sommes pas les seuls par ici. Il nous restaure et nous loge, et le
lendemain en partant, nous indique le Centre Démobilisateur. Nous y allons d'un
bon pas et commençons les formalités, il y a pas mal de papiers à remplir.
Auparavant, nous sommes passés à la Poste, pour expédier un télégramme chez
nous, annoncer la bonne nouvelle. C'est ainsi que nous apprenons que nous
sommes à Loches, ce Vendredi 13 février 1942, et je câble à ma petite Lulu :
"AFFAIRE TERMINEE, J'ARRIVE"
Tout
à ma joie, j'oublie même de lui dire "Bons baisers !"