Chapitre
6 : voir du pays….
Jean : J'envisageais de faire
mon service militaire le plus vite possible, pour pouvoir nous marier. Pour
cela, je m'inscrivis à l'A.S. Cannes, section "Préparation
Militaire", que nous faisions après la journée, le samedi et le dimanche.
J'ai été incorporé à Sospel, au 3°
Régiment d'Infanterie Alpine avec la classe 29/3. Sélectionné tout de suite,
pour faire un peloton d'élèves gradés, je fus dirigé pour six mois sur Hyères,
centre instructeur de la Région Militaire.
Pendant ma permission de fin de peloton, j'ai enterré mon
père. Ruiné, souffrant le martyre de rhumatismes dont personne ne pouvait se
rendre compte, craignant de ne plus pouvoir travailler et d’être à la charge de
sa femme, il s’était pendu.
Nommé caporal-chef, j'ai regagné Sospel et fus affecté au
fort Saint Jean. Libéré en octobre 1931, j'ai repris le travail tout de suite,
afin de faire une petite pelote en vue du mariage. Nous nous sommes mariés le 9
janvier 1932 et pour financer les trois mois de loyer d'avance, j'ai dû
emprunter mille francs à mon témoin, que nous lui avons rendus le mois suivant.
Ma mère n’est pas venue, car j’épousais une fille de « babi » ou
crapauds en italien…Du côté de mes beaux-parents, le suicide de mon père avait
aussi failli poser problème….
La vie était belle, nous
travaillions tous les deux et surtout pour la première fois de notre vie, nous
étions libres de sortir à notre guise.
L'envie de voir du pays, et surtout
d'aller à Paris, nous prit assez vite. J'annonçais aux parents qu'ayant fait
une demande pour entrer aux P.T.T., je venais d'être nommé à Paris, ainsi le
tour fut joué. Là dessus, notre propriétaire, qui était chef facteur à Cannes
depuis longtemps, me fit cadeau d'un grand pantalon de facteur dans lequel
j'aurais tenu deux fois. Nous l'avons, évidemment, "oublié" en
partant. ..
Nous voilà à Paris, avec de petites
économies. Nous avions trouvé assez facilement du travail l'un et l'autre,
ainsi qu'une chambre avec petite cuisine, dans l'avenue de Saint Mandé. La vie
était belle, faite de musées, de cinémas et de promenades.
Après la mort de mon père, ma mère
était partie avec mes deux frères, pour le Maroc, où un copain cannois de mon
âge était déjà installé depuis quelques temps. Après un échange de
correspondances avec elle pour me faire obtenir un contrat de travail, nous
voilà enfin embarqués pour le Maroc. Nous sommes arrivés à Meknès début
novembre 1932.
J'ai pris mon travail tout de
suite, mais avec promotion. Je devais seconder le patron, un vieux célibataire
dans la cinquantaine, qui menait une vie quelque peu désordonnée. Le travail me
plaisait beaucoup car il était tout nouveau pour moi. Je faisais, seul ou avec
lui, la tournée des chantiers, les métrés sur place et sur plans pour les
adjudications, auxquelles j'assistais avec lui. Je tenais les feuilles de
présence et parfois je faisais la paye des ouvriers à sa place.
Lulu avait
trouvé un emploi de dactylo à la Mairie de la ville – nous disions « les
Services Municipaux » - tout allait pour le mieux. Comme le pays manquait
de poseur de papiers peints, alors que nous en avions un grand stock en
magasin, je me suis confectionné tout l'outillage nécessaire et, avec ma Lulu
comme ouvrier-encolleur, nous allions le dimanche faire des journées, parfois
de douze heures.
Et les jours s'écoulaient
tranquillement, avec des copains agréables, nous étions heureux. Afin d'en
profiter pleinement, nous avions convenu de tout faire pour ne pas avoir
d'enfant avant cinq ans.
Il manquait aussi dans le pays de
peintres en lettres. Nous décidâmes de combler cette lacune et pour cela je
partis à Tours, à l'Ecole Supérieure de Peinture Tessier. Je n'y ai suivi que
la moitié des cours car la séparation était difficile et les cours assez chers.
Comme, à Meknès, je suivais les cours de perfectionnement des
sous-officiers de réserve, j'en profitais pour passer mon Brevet de Chef de
Section d'infanterie, ce qui par la suite se révéla très judicieux. En 1934,
j'ai dû faire ma période militaire de vingt et un jours à Médiona, près de
Casablanca.
Le 20 Juin 1939, après deux ans d’efforts, d'attente et
beaucoup de souffrances pour ma petite Lulu, nous est arrivée une belle petite
Claudie. En septembre, c'est la guerre, et nous nous apprêtons, avec mon
régiment, à partir pour la France. Je suis alors Chef comptable à la 10° Compagnie du Premier Régiment de
Zouaves.
Un mois après, par un brouillard à couper au couteau, nous
débarquons à Louvignies-Bavay, dans le Nord, à quelques kilomètres de la
Belgique.
à suivre par ici !